Peer-to-peer : comment sortir du "perdant-perdant" ?

Publié le par Daniel Boys

L’échange de musiques ou de films n’est pas apparu avec les nouvelles technologies de l’information. Cependant, l’analogie du peer-to-peer avec les pratiques plus anciennes s’arrête à son unique principe. Au caractère artisanal de l’échange de cassettes vidéo ou audio dans le cercle familial et amical se substitue aujourd’hui un phénomène social d’une ampleur inégalée jusqu’ici : accéder sans limites et totalement gratuitement à des centaines de milliers de MP3, logiciels et autres Divx protégés par des droits d’auteur tient lieu du jeu d’enfant pour des millions d’internautes, où qu’ils se trouvent dans le monde.
 
Si l’impact réel du peer-to-peer sur les ventes de CD et DVD est sujet à controverses, rien ne serait plus dangereux que de soutenir cette utopie de l’art gratuit. Elle menace non seulement les industries de production et de distribution musicale et cinématographique mais aussi et surtout les artistes eux-mêmes, qui se voient dépossédés de fait de la juste rémunération de leur travail. Pour cette raison, j’ai toujours considéré que les réglementations visant à protéger les droits d’auteurs favorisaient l’indépendance et le dynamisme de notre création artistique, constituant ainsi ce que l’on appelle « l’exception culturelle française ».
 
Doit-on pour autant rester aveugle devant la réalité des faits ? Je ne le crois pas. On estime aujourd’hui que l’échange illégal de fichiers protégés concernerait près de onze millions de Français. Onze millions de délinquants potentiels qui poursuivent pourtant leurs téléchargements au mépris des menaces de poursuites judiciaires. Renforcer l’attirail législatif n’y changera rien : la justice condamne déjà lourdement les moyens et gros téléchargeurs pris sur le fait, sans que cela ait le moindre impact sur les comportements collectifs comme le prouvent toutes les études sur le sujet.
 
Comment ne pas voir que le maintien aussi inutile qu’inefficace de cette logique du tout répressif revient à faire le pire des choix ? Le pire des choix pour les internautes, aussi juridiquement menacés que non dissuadés. Le pire des choix pour les artistes, aussi virtuellement protégés que non rémunérés.
 
C’est pour sortir de cette logique du « tous perdants » que je suis favorable à une licence globale, qui permettrait de concilier au mieux l’exigence de la juste rémunération des artistes au phénomène de société qu’est le téléchargement sur Internet. Cependant, ce droit personnel au téléchargement contre un paiement forfaitaire doit s’accompagner de limitations dont les modalités devront être négociées par tous les acteurs du secteur. Par exemple, il est inconcevable qu’une œuvre musicale ou cinématographique puisse être téléchargeable dès sa sortie mais uniquement après un délai suffisant pour permettre son exploitation préalable via les réseaux et supports classiques de diffusion.
 
Les opposants à la licence globale nous affirment « qu’il s’agirait d’un coup fatal porté à la diversité culturelle». Ce dispositif serait-il « créaticide » selon le terme de Denis Olivennes, le Président de la FNAC ? Pour appuyer ses dires, il nous rappelle que sur les 200 000 références musicales de ses magasins, 190 000 d’entre elles sont vendues à moins d’un exemplaire par an et par magasin. La licence globale, nous dit-il, c’est la mort de cette diversité au profit de la culture d’hypermarché. Vraiment ? A moins de considérer que la seule et unique vente de quelques disques par an est constitutive en soi d’une juste rémunération pour les artistes, on voit mal en quoi la licence globale menacerait notre diversité culturelle. C’est même tout le contraire : si l’ADAMI, parmi beaucoup d’autres organismes de gestion des droits des artistes, est favorable à la licence globale, c’est justement parce qu’il s’agit du seul et unique moyen pour rémunérer équitablement ses membres qui subissent aussi bien le préjudice d’un peer-to-peer incontrôlé que d’une industrie du disque de plus en plus frileuse devant ce qui s’écarte des standards du château de Dammarie-les-Lys.
 
L’autre argument principal utilisé par les opposants de la licence globale est la prétendue iniquité de la répartition des produits de cette taxe aux artistes : « Les auteurs-compositeurs n'auraient-ils pas le droit comme les boulangers, les journalistes, les médecins, les électriciens, les joueurs de football (...) à une rémunération juste et individuelle pour leur travail ?» dixit, toujours, Denis Olivennnes. Bien entendu ! Mais en quoi la licence globale conduirait à une « fonctionnarisation » des artistes ? La répartition équitable d’une taxe ne signifie pas répartition égale. Les techniques permettant cette individualisation existent. Certaines sont d’ailleurs utilisées pour la répartition des produits des taxes des supports vierges pour la copie privée, à l’image de la redevance payée par les radios, discothèques et autres commerces. A l’évidence, la licence globale est infiniment plus juste pour les artistes que le statu quo actuel du tout gratuit.
 
Alors, par delà les fausses justifications, que craint donc l’industrie du disque ? Pour le public, la licence globale permettra d’accéder aussi facilement à de nouveaux artistes qu’aux artistes les plus vendeurs. Peut-être est-ce de cette concurrence que les 4 grands majors, qui se partagent 90% du marché, ont le plus peur ?  Bien évidemment. Un artiste qui perce autrement que par les réseaux classiques, c’est la fin d’un monopole de fait pour les trusts.
 
En réalité, loin d’être « créaticide » ou « inéquitable », la licence globale est une chance pour tous nos artistes. Pour les têtes d’affiches, c’est la fin du pillage systématique de leurs oeuvres. Pour les autres, c’est aussi une formidable alternative pour exister auprès du public, au-delà des contrats des majors ou des quelques ventes par an dans les grands réseaux de distribution.

Publié dans Archives 2005-2009

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